En 2025, l’Irak reste l’un des seuls dix pays au monde à interdire complètement les cryptomonnaies. La Banque centrale d’Irak (CBI) a imposé une interdiction totale dès 2017, et cette position n’a jamais été assouplie. Pas de Bitcoin. Pas d’Ethereum. Pas même d’échanges via des portefeuilles numériques ou des cartes de paiement. Pour les institutions financières irakiennes, toute transaction liée aux actifs numériques est illégale. Et ce n’est pas une simple recommandation : c’est une loi écrite, claire, et appliquée.
Une interdiction légale, pas une simple mise en garde
Le fondement juridique de cette interdiction repose sur la circulaire n° (125/5/9) de la Banque centrale d’Irak, publiée le 22 novembre 2021. Cette circulaire interdit expressément à toutes les banques, aux sociétés de financement non bancaires et aux fournisseurs de services de paiement électronique de traiter, d’offrir ou même d’encourager l’utilisation des cryptomonnaies. Les actifs numériques ne sont pas reconnus comme monnaie légale. Ils ne peuvent pas être utilisés pour payer des dettes, acheter des biens, ou même être échangés contre des dinars irakiens ou de l’or. En pratique, cela signifie que si vous utilisez du Bitcoin pour payer un service en Irak, ce paiement n’a aucune valeur légale. Si un litige survient, la justice irakienne ne le reconnaîtra pas.Un alignement avec les normes internationales… mais sans réel contrôle
En mars 2022, la Banque centrale a renforcé ses règles en se conformant aux recommandations du Groupe d’action financière (GAFI). Ces normes visent à lutter contre le blanchiment d’argent et le financement du terrorisme. Les institutions financières irakiennes doivent désormais mettre en place des systèmes de vérification renforcée, surveiller les transactions suspectes et réviser leurs politiques internes. Mais ici, le problème ne vient pas du manque de règles - il vient du manque de capacité à les appliquer. Alors que les banques sont tenues de bloquer toute activité liée aux cryptomonnaies, les particuliers, eux, ne sont pas explicitement poursuivis pour les posséder ou les échanger. Ce vide juridique crée une zone grise : techniquement, vous enfreignez la loi si vous utilisez une crypto, mais personne ne vient frapper à votre porte pour vous arrêter. Les réseaux informels continuent de fonctionner. Des marchés noirs en ligne, des transferts via des amis à l’étranger, des échanges en espèces - tout cela persiste. Les autorités n’ont ni les outils ni les ressources pour suivre chaque transaction cryptographique dans un pays où l’accès à Internet reste inégal et où la technologie est souvent dépassée.Les religieux soutiennent l’interdiction
Ce n’est pas seulement une question de finance. En 2018, l’Autorité suprême des fatwas du gouvernement régional du Kurdistan a publié une déclaration religieuse condamnant spécifiquement OneCoin, un projet de cryptomonnaie qui s’est avéré être une escroquerie de masse. Cette fatwa a eu un impact profond. Dans une société où les décisions religieuses portent un poids moral fort, cette condamnation a renforcé la légitimité de l’interdiction étatique. Pour beaucoup d’Irakiens, les cryptomonnaies ne sont pas seulement risquées - elles sont moralement douteuses. Ce mélange de régulation financière et de pression religieuse a créé une culture de rejet plus profonde que dans la plupart des autres pays.
La Banque centrale prépare son propre numérique
Pourtant, la Banque centrale ne rejette pas la technologie numérique. Elle veut juste la contrôler. En mars 2025, Mazhar Mohammed Saleh, conseiller financier du Premier ministre irakien, a annoncé que la CBI avançait vers la création d’une monnaie numérique de banque centrale (CBDC). Ce n’est pas une crypto comme Bitcoin. C’est une version numérique du dinar irakien, entièrement contrôlée par l’État. Son objectif ? Réduire les coûts d’impression des billets, limiter la fuite de liquidités, suivre les dépenses publiques et lutter plus efficacement contre la corruption. Les avantages listés par les autorités sont clairs : moins d’argent liquide en circulation, plus de traçabilité, meilleure inclusion financière. Mais derrière ces promesses, il y a un risque énorme : la surveillance. Dans un pays où critiquer le gouvernement sur les réseaux sociaux peut mener à l’arrestation, à la perte de salaire, ou même à la torture, une monnaie numérique contrôlée par l’État devient un outil de contrôle social. Chaque achat, chaque transfert, chaque paiement sera enregistré. Il n’y aura pas d’anonymat. Pas de cash. Pas de fuite.Un système bancaire à bout de souffle
Pour comprendre pourquoi l’Irak adopte cette approche, il faut regarder l’état de son économie. En 2025, seulement 8,8 % de l’argent en circulation dans le pays provient de dépôts bancaires. Le reste est en espèces, souvent hors système. Le budget mensuel du gouvernement s’élève à 18 à 20 billions de dinars - un montant que le système financier ne peut pas soutenir. En 2020, la dévaluation du dinar (passé de 1 182 à 1 450 dinars pour un dollar) a provoqué une hausse brutale des prix, surtout pour la nourriture. Les Irakiens ont perdu confiance dans leur monnaie. Beaucoup ont cherché refuge dans les cryptomonnaies. C’est précisément cette fuite que la Banque centrale tente de bloquer.Les critiques : liberté financière et droits humains
Des organisations comme la Human Rights Foundation classent l’Irak comme une « autocratie électorale » avec un score très bas en matière de libertés civiles (4,38/10) et de liberté financière. Les juristes locaux, comme le cabinet Al Nesoor, soulignent que l’absence de loi parlementaire sur les cryptomonnaies crée un vide juridique : les institutions sont punies, mais les individus ne sont pas protégés. Ce n’est pas une régulation - c’est une répression sélective. Les experts craignent que la CBDC ne devienne un outil de contrôle plus puissant que n’importe quelle interdiction. Si vous ne pouvez pas utiliser Bitcoin, mais que votre téléphone enregistre chaque centime que vous dépensez, qui décide de ce que vous pouvez acheter ? Quand un paiement est bloqué ? Quand un citoyen est exclu du système pour avoir acheté des livres interdits ou payé un médecin privé ?
La réalité sur le terrain : une interdiction incomplète
Malgré les lois, les cryptomonnaies sont toujours présentes en Irak. Des groupes de traders sur Telegram. Des échanges en espèces dans les marchés de Bagdad. Des transferts via des comptes à l’étranger. Les jeunes Irakiens, comme leurs homologues dans d’autres pays, veulent accéder à des systèmes financiers plus ouverts. Ils veulent investir, envoyer de l’argent à l’étranger, ou simplement éviter les coûts élevés des transferts bancaires. Mais ils le font dans l’ombre. Sans protection. Sans recours. Si la police découvre un portefeuille crypto sur un téléphone, il n’y a pas de loi claire pour dire ce qui va arriver. Ce n’est pas un crime officiellement défini. Mais cela peut être utilisé comme preuve dans une enquête pour blanchiment d’argent - et là, les conséquences peuvent être graves.Que faire si vous êtes en Irak ?
Si vous vivez en Irak : ne faites pas confiance aux banques pour vous aider avec les cryptomonnaies. Elles ne le peuvent pas. Si vous utilisez des actifs numériques, faites-le en toute connaissance des risques. Vous n’êtes pas protégé par la loi. Vos fonds peuvent être saisis. Votre compte bancaire peut être fermé. Votre identité peut être signalée. Et si vous êtes un expatrié ou un étranger en Irak : ne tentez pas d’acheter des cryptomonnaies ici. Les plateformes locales sont interdites. Les échanges en espèces sont risqués. Et si vous êtes pris, vous n’aurez pas la protection de votre ambassade - la loi irakienne ne fait pas de distinction entre citoyens et étrangers.Le futur : CBDC ou révolte financière ?
La Banque centrale d’Irak ne va pas reculer. La CBDC est en cours de développement. Elle sera lancée, probablement dans les deux prochaines années. Et quand elle le sera, l’Irak deviendra l’un des premiers pays au Moyen-Orient à avoir une monnaie numérique entièrement contrôlée par l’État. Mais la question reste : peut-on interdire une technologie sans la comprendre ? Les cryptomonnaies ne disparaîtront pas parce qu’elles sont interdites. Elles se transforment. Elles deviennent plus sombres. Plus risquées. Plus difficiles à contrôler. L’Irak a choisi la sécurité. Mais il risque de perdre la liberté. Et peut-être, un jour, la confiance de sa propre population.Pourquoi la Banque centrale d’Irak interdit-elle les cryptomonnaies ?
La Banque centrale d’Irak interdit les cryptomonnaies depuis 2017 pour éviter les risques de blanchiment d’argent, de financement du terrorisme, et de volatilité financière. Elle veut aussi protéger le système bancaire fragile du pays, qui manque de liquidités. En 2021, cette interdiction a été renforcée par une circulaire officielle qui interdit à toutes les institutions financières de traiter avec des actifs numériques.
Les particuliers peuvent-ils être poursuivis pour posséder des cryptomonnaies en Irak ?
Non, il n’existe pas de loi spécifique qui criminalise la simple possession de cryptomonnaies par les particuliers. Mais utiliser ces actifs pour des transactions peut être considéré comme une violation des règles anti-blanchiment. Si les autorités découvrent des échanges, vous pouvez être enquêté, et vos comptes bancaires ou biens peuvent être saisis.
La Banque centrale d’Irak développe-t-elle une monnaie numérique ?
Oui. En mars 2025, des responsables ont confirmé que la Banque centrale travaille à la création d’une monnaie numérique de banque centrale (CBDC). Cette monnaie sera une version numérique du dinar irakien, entièrement contrôlée par l’État. Son but est de réduire les coûts de production d’argent liquide, de mieux suivre les dépenses publiques, et de lutter contre la corruption.
Pourquoi les religieux irakiens s’opposent-ils aux cryptomonnaies ?
En 2018, l’Autorité suprême des fatwas du Kurdistan a condamné OneCoin, une escroquerie présentée comme une cryptomonnaie. Cette déclaration religieuse a renforcé la perception que les cryptomonnaies sont dangereuses ou immorales. Dans une société où les fatwas ont un fort poids moral, cette opposition a aidé à légitimer l’interdiction étatique.
La CBDC irakienne est-elle plus dangereuse que les cryptomonnaies ?
Pour certains experts, oui. Les cryptomonnaies offrent un certain anonymat, même si elles sont risquées. La CBDC, en revanche, permettra au gouvernement de suivre chaque transaction en temps réel. Dans un pays où la critique politique peut mener à l’arrestation, cette surveillance financière totale représente un risque majeur pour les libertés civiles.
Les Irakiens utilisent-ils encore des cryptomonnaies malgré l’interdiction ?
Oui. Malgré l’interdiction, des réseaux informels continuent d’opérer : échanges en espèces, transactions via Telegram, transferts via des comptes à l’étranger. Les jeunes Irakiens cherchent des moyens de contourner le système bancaire inefficace. Mais ils le font sans protection légale, et avec un risque élevé d’être pris dans une enquête pour blanchiment.